Richard III (dirigé par Sam Mendes), une des premières pièces politiques de Shakespeare, monté à BAM (Brooklyn Academy of Music), est un choix parfait en cette saison de politique présidentielle. Cette représentation, avec Kevin Spacey en vedette dans le rôle de Richard III, est vaguement située dans l’entre deux guerres tout comme la version de Richard Eyre avec Ian McKellen en vedette (1990), mais les adaptations de deux comédiens ne pouvaient pas être plus différentes. Alors que l’interprétation de Richard III par Ian McKellen était cynique, manipulatrice, froide et peu déformée, celle de Kevin Spacey est explosive, comique et grotesque.
M. Spacey, au fil des ans, se spécialisait dans deux caractères distinctifs et dysfonctionnels: un psychopathe sanguinaire mais super-intelligent, et un homme ordinaire avec une ambivalence morale, séduit par la corruption de tous les jours. En fait, les fantômes de ses personnages de films tournent autour de la scène tout au long de la soirée. Dans la veine sociopathe, il nous a donné les méchants meurtriers mémorables de «The Usual Suspects (Les suspects usuels)» et «Seven». Et comme ces charmeurs homicides, son Duc de Gloucester est également si intelligent que le monde est ennuyeux pour lui, sauf s’il crée des problèmes. Avec une fureur bouillonnante et ambition, il assassine, séduit, charme et conspire pour se faire un chemin vers le pouvoir en feignant la piété, le patriotisme, la sollicitude familiale et l’amour courtois. Par conséquent, le public comprend parfaitement l’allégorie de ce jeu politique historique en référence à l’élection présidentielle en cours (en particulier dans la scène avec la vidéo amusante, diffusion simultanée, où il accepte «à contrecœur» d’être couronné).
Dans cette présentation minimaliste et grassement conçue (même si un peu chargée), M. Spacey domine complètement presque au point où les autres comédiens deviennent un décor simple pour ses esclandres, à l’exception de quelques scènes individuelles avec les femmes de la distribution. Dans ces scènes, il est effrayant et séduisant à son meilleur niveau, et pas seulement ampoulé. Dans la grande confrontation cruciale entre Richard et la Reine Elizabeth (Haydn Gwynne , la veuve de Edward IV), dans laquelle il essaie de la persuader de lui donner sa fille en mariage, Haydn Gwynne et son personnage tiennent bon contre les assauts furieux de Richard. Elisabeth se bat contre ses requêtes et ses ordres avec un esprit d’acier, et la bataille se termine par un tirage au sort exaltant.
Mais l’interprétation de Richard par M. Spacey, étant à la fois monstrueuse et triste, ne manque pas d’humanité dont il imprègne son portrait d’un homme ordinaire. Sa bosse et son handicap ajoutent à ce pathos, malgré la physicalité de son jeu. Il est un mystère affreux duquel nous ne pouvons pas détourner les yeux. Après avoir réussi à courtiser la nouvelle veuve Lady Anne (Annabel Sholey), qui sait bien que Richard vient de tuer son mari, M. Spacey vocifère triomphalement autant de dégoût que de plaisir. «Was ever woman in this humor wooed? (Femme a-t-elle jamais été dans cette humeur courtisée?)» — la question de Richard au public devient dans cette version une mise en accusation de la fragilité humaine, plus sombre et fataliste que la déclaration de Puck de Midsummer Night’s Dream, « Lord, what fools these mortals be (Seigneur, quels imbéciles ces mortels) ».